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Analyse des membres du front

Faire Front signe cette lettre ouverte au nouveau gouvernement appelant les nouveaux responsables politiques à agir fermement contre l’évasion fiscale.

Publié le 4 octobre 2020

carte blanche parue dans Le Vif le 1er octobre 2020 : https://www.levif.be/actualite/belgique/lettre-ouverte-au-nouveau-gouvernement-carte-blanche/article-opinion-1339513.html

Plus de quatre cent citoyens appelle les nou­veaux res­pon­sables poli­tiques à agir fer­me­ment contre l’é­va­sion fiscale.

Mes­dames et Mes­sieurs les Res­pon­sables politiques,
Vous allez bien­tôt prendre les rênes d’un pays qui subit une crise éco­no­mique et sociale consé­cu­tive à la pan­dé­mie du covid19 et dont les finances sont sérieu­se­ment mises à mal.

Une ana­lyse sim­pliste que cer­tains inté­res­sés ne man­que­ront pas de bran­dir est que le mal vien­drait d’un sur­croît de dépenses et d’une dimi­nu­tion des ren­trées liés à la pan­dé­mie, mais cette pénu­rie n’est que de façade et elle porte un nom : l’é­va­sion fiscale.

Ce que des affaires comme les Off­sho­re­leaks en 2013, Lux­leaks en 2014, Swiss­leaks en 2015, Pana­ma Papers en 2016 ; Para­dise Papers en 2017, Dubai Papers en 2018, Fin­CEN Leaks en 2020 démontrent, c’est le pillage sys­té­ma­tique des res­sources col­lec­tives de la socié­té au pro­fit de quelques uns.

Depuis la Loi-pro­gramme du 23 décembre 2009, les entre­prises belges sont dans l’o­bli­ga­tion de décla­rer annuel­le­ment les paie­ments de plus de 100.000 euros qu’elles effec­tuent chaque année vers trente para­dis fis­caux, hors ceux de l’U­nion Européenne.

En 2019, 790 d’entre elles ont décla­ré avoir trans­fé­ré plus de 172 mil­liards vers les Emi­rats Arabes Unis (7 des 30 para­dis) et d’autres des­ti­na­tions telles que Anguilla, les Baha­mas, Jer­sey, Guernesey.

Depuis dix années, tous vos pré­dé­ces­seurs connaissent donc le détail de ces flux finan­ciers fara­mi­neux qui sont même allés jus­qu’à atteindre 207 mil­liards en 2018 (l’an­née record), soit plus de 43% du PIB de la Belgique !

Cela ne vous aura cer­tai­ne­ment pas échap­pé. Pas plus que la consé­quence de cette éva­sion : 30 mil­liards de recettes fis­cales annuelles sous­traites aux caisses de l’É­tat et donc à la col­lec­ti­vi­té, aux ser­vices publics, aux soins de san­té, à l’in­dis­pen­sable finan­ce­ment de la tran­si­tion éco­lo­gique dont on mesure chaque jour un peu plus l’ur­gence, au sou­tien à l’ac­ti­vi­té éco­no­mique mise à mal par la pan­dé­mie. Ima­gi­nez tout ce que vous auriez pu mettre en place depuis 10 ans avec ces 30 mil­liards annuels et ne pas abou­tir où nous en sommes aujourd’­hui … ima­gi­nez ce que vous pour­riez faire aujourd’­hui avec ces bud­gets dis­po­nibles pour redres­ser la barre…

Et tous ces flux finan­ciers et leurs cir­cuits com­plexes, qui n’ont rien à voir avec l’é­co­no­mie réelle, vous savez aus­si bien enten­du qu’ils sont orches­trés par cer­tains avo­cats, experts comp­tables et révi­seurs d’en­tre­prises, les orga­ni­sa­teurs de l’é­va­sion fiscale.

Quand allez-vous arrê­ter de faire confiance aux grands groupes dits des “Big four”, que vous uti­li­sez régu­liè­re­ment comme consul­tants : ces groupes qui conseillent les États et ins­pirent des lois alors qu’ils orga­nisent l’é­va­sion fis­cale à grande échelle en écha­fau­dant des mon­tages com­plexes qui ont pour unique but d’é­vi­ter à leurs clients tout ou par­tie de la part d’im­po­si­tion natio­nale : mon­tage de socié­tés écrans – jeux de fac­tu­ra­tions – envoi dans les para­dis fis­caux, tout y passe. Sans eux, et sans une kyrielle de plus petites poin­tures tout aus­si néfastes[1]dont les agis­se­ments sont mis à jour dans les Dubaï Papers, l’é­va­sion fis­cale est impossible.

Alors, pour­quoi un tel silence sur ce que tout cela cache pré­ci­sé­ment, une telle absence de trans­pa­rence, une telle inac­tion face à des don­nées éta­blies pro­pre­ment sidérantes ?

Les scan­dales média­tiques d’é­va­sion fis­cale ont beau se mul­ti­plier depuis quelques annees[2], les mobi­li­sa­tions gou­ver­ne­men­tales a ? ce sujet sont plus que timorées.

Com­ment jus­ti­fier un tel laxisme ?

Qu’at­ten­dez-vous pour arrê­ter cette hémor­ra­gie inex­pli­cable ? Qu’at­ten­dez-vous pour prendre des lois qui rendent ces pra­tiques illégales ?

N’est-il pas plus que temps de mettre l’é­co­no­mie au ser­vice de la majo­ri­té de la popu­la­tion et pas au pro­fit d’une infime mino­ri­té de puissants ?

L’im­mo­bi­lisme poli­tique dans ce domaine est tota­le­ment invrai­sem­blable et insou­te­nable pour le citoyen. Et pour vous ?

De l’illé­gi­ti­mi­té à l’illé­ga­li­té : faites bou­ger les lignes !

A ce jour, une par­tie de l’é­va­sion fis­cale est “légale” au sens où elle uti­lise des méca­nismes qui sont auto­ri­sés par la loi.

Mais il ne faut pas confondre léga­li­té et légi­ti­mi­té : le tra­vail des enfants, l’es­cla­vage et le non-droit de vote des femmes ont été légaux, même s’ils étaient illé­gi­times. La fron­tière entre l’illé­gi­ti­mi­té et l’illé­ga­li­té n’est pas sta­tique, elle évo­lue au fil du temps et des sociétés.

Ne sen­tez-vous pas que le temps est venu que vous vous met­tiez en mou­ve­ment et dépla­ciez les fron­tières entre l’illé­gi­ti­mi­té et l’illé­ga­li­té : que doré­na­vant, l’é­va­sion fis­cale ne soit plus sim­ple­ment illé­gi­time mais qu’elle devienne illégale ?

La socié­té civile vous demande d’a­gir enfin réel­le­ment contre ce sys­tème qui ruine les États et la démo­cra­tie. Votre cré­di­bi­li­té et les moyens d’ac­tion de votre futur gou­ver­ne­ment sont en jeu.

Mer­ci !

P.S. : notre inter­pel­la­tion est cen­trée sur l’é­va­sion fis­cale mais nous sommes plei­ne­ment en accord avec le memo­ran­dum du Réseau pour la Jus­tice fis­cale qui vous a été éga­le­ment adressé.

Dans l’ordre d’ar­ri­vée des 20 pre­mières signatures :

Chris­tian Savestre, Chris­tine Pau­por­té, Alexandre Gobry et Fred Mawet, pour ATTAC Bxl 2

Arnaud Levêque pour la Cen­trale Géné­rale de la FGTB

Jacques Cor­net pour Chan­ge­ments pour l’Égalité

Arnaud Zacha­rie, Secré­taire géné­ral du CNCD

Thier­ry Bod­son, Pré­sident de la FGTB

Felipe Van Keirs­bilck, Secré­taire géné­ral de la CNE

Sele­na Car­bo­ne­ro et Oli­vier Bon­fond pour Faire Front[3]

Jean-Pas­cal Labille pour SOLIDARIS

Yves Hel­len­dorff, Secré­taire natio­nal CNE Non Marchand

Michel Roland, Médecin

Anne Bathi­ly, char­gée de pro­jets sur les ques­tions de poli­tiques migratoires

Véro­nique van der Plancke, avocate

Alain Williaert, Coor­di­na­teur du Conseil Bruxel­lois de Coor­di­na­tion Socio-Politique

Noé­mie Van Erps, pour les Femmes Pré­voyantes Socialistes

Daniel Puis­sant pour le Réseau Jus­tice Fiscale

Chris­tine Pagnoulle pour ATTAC Liège

Sarah de Liam­chine pour Pré­sence et Action Culturelles

Anne-Marie Andru­sys­zyn pour le CEPAG

Le Gang des vieux en colère !

Le Comi­té pour l’An­nu­la­tion de la Dette du Tiers Monde

Julie Kes­te­loot, Coor­di­na­trice de la Fédé­ra­tion des Centres de Ser­vices Sociaux

Manuel Har­chies pour le GRACQ

Et déjà 400 signa­tures citoyennes 

[1] Comme les avo­cats fis­ca­listes Arnaud Jan­sen et Thier­ry Afschrift et l’ex­pert-comp­table Guy Ollieuz

[2] En savoir plus ? lire https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_mars_2020_-_evasion_fiscale.pdf

[3] Faire Front est un col­lec­tif d’ac­tuel­le­ment 91 orga­ni­sa­tions qui refusent le retour à l’a­nor­mal ! (www.fairefront.be )

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